A l’occasion de l’édition 2022 du Festival de l’Histoire de l’Art à Fontainebleau autour du thème de l’animal dans l’art, le département des arts graphiques du Petit Palais propose un parcours thématique à ce sujet. Quelle place les artistes offrent-ils à l’animal dans leurs créations ? Héros mis à l’honneur dans bien des récits et de courtes fables, on lui a souvent prêté des vêtements, attitudes, habitudes et traits de caractère humains. Parmi ces animaux mis en scène, il devient possible de pointer, sinon blâmer, certains défauts dont ils se font les emblèmes : perfidie, jalousie, paresse, gourmandise, et bien d’autres.
Toujours étudiée par les artistes, la représentation animale connaît un vaste répertoire, du naturalisme à l’hybridation. L’homme perd la place dominante, l’animal se substitue à lui et devient le protagoniste de cette nouvelle iconographie. C’est l’animal comme miroir des comportements humains que ce parcours thématique a choisi de traiter.
Une longue tradition de récits animaliers jalonne la littérature antique et médiévale, jusqu’aux fables les plus contemporaines. Certains de ces récits ont connu un vif succès.
Les fables d’Esope dont s’inspire ouvertement La Fontaine (« Je chante les héros dont Esope est le père »), mettent en scène un monde animal dont la morale est souvent sociale et politique. L’animal devient ainsi un miroir de l’homme.
L’animal mis à l’honneur
Un héros
Bien avant les Fables de La Fontaine, le Roman de Renart est aussi un texte singulier. Cette épopée animale relate les aventures de Renart, du coq Chantecler, du chat Tibert, du loup Ysengrin. Parodiant les chansons de geste médiévales, le roman fait de l’animal son héros, le met à l’honneur et lui prête des attitudes toutes humaines, ordinairement attribuées à des chevaliers et aux cours médiévales. La scène du puits en est un exemple amusant : Renart assoiffé court vers un puits comprenant deux seaux, l’un remontant quand l’autre descend. Tombé dans le puits, il finit par s’en sortir en trompant le loup Isengrin pour remonter à la surface : il lui fait croire que les seaux servent à peser les bonnes et mauvaises actions, et que d’un côté se trouve le Paradis.
Le Roman de Renard : 30- Continuation des faux aveux du renard (Bartsch 30)
Le Roman de Renard : 46- Un Lapin courant à la rencontre du renard (Bartsch 46)
Le Roman de Renard : 4- Le Loup reprochant au renard d'avoir mangé des poissons (Bartsch 4)
Le Roman de Renard : 12 - Le Renard insultant au malheur de l'ours (Bartsch 12)
Le Roman de Renard : 54- Autre tour que le renard joue à la louve : descendu dans un puits par un des deux seaux et ne pouvant plus sortir sans être aidé il pria la louve qui entendait ses plaintes de le sauver en se plaçant dans l'autre seau ; remonté...
Souvent les animaux s’habillent, parlent, prennent leur repas à l’image des humains.
Au-delà de son intérêt esthétique et divertissant, cette analogie avec le monde animal peut aussi devenir une stratégie d’illustration.
À travers eux, les artistes soulignent les imperfections de leur société.
Vivre comme les humains
À table !
Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
La Fontaine, Le Renard et la Cigogne, Fables, livre I.
Les artistes aiment prêter aux animaux des comportements humains. En les faisant déjeuner avec une assiette et des couverts, les animaux perdent leur sauvagerie pour ressembler aux hommes. La fable du Renard et de la Cigogne, que La Fontaine a popularisée après l’avoir reprise d’Esope, raconte la vengeance d’une cigogne sur son ami le renard qui lui avait joué un mauvais tour. Ce dernier lui avait servi un bol de soupe dans lequel l’oiseau au long bec était incapable de manger. Pour se venger, elle l’invite à son tour à déjeuner et lui sert des morceaux de viande dans un vase à long col. Dans l’illustration du graveur hollandais Dirk Stoop (1610-1686), les animaux mangent dans un vase oblong ou une assiette, mais les attitudes humaines sont encore limitées : ils ne sont pas réellement attablés, contrairement aux rats des villes et des champs ou à l’éléphant du roi de Siam.
Le Renard et la cigogne (Bartsch 34)
Le Rat des villes et le rat des champs dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 1, Livre I, fable 9
Scènes principales de l'éléphant du roi de Siam. / (1re)
Changer de peau
Il s’habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d’un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
La Fontaine, Le Loup devenu berger, Fables, livre III.
Comme dans le Loup voulant tromper le berger pour lui voler ses moutons, les animaux se déguisent pour ressembler aux humains. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, l’iconographie des singeries se déploient dans tous les supports artistiques. Les singes sont représentés peignant à un chevalet, jouant à la balançoire, faisant partie d’un orchestre ou lisant des livres. Avec des mimiques presque humaines, les singes deviennent une parodie de l’art et de l’homme. Dans une illustration de Claude Gillot pour les fables de Jean Houdar de la Motte, un singe devient juge et rend la justice entre deux chats qui convoitent un morceau de fromage, et ce magistrat déguisé parvient à les tromper. Au XIXe siècle, l’iconographie de l’animal habillé est bien ancrée chez les artistes. Il apparaît notamment dans le répertoire d’ornements que s’est constitué Charles Jacqueau (1885-1968) dans ses dessins de joaillerie conservés au Petit Palais, ou dans les célèbres caricatures de Jean-Jacques Grandville (1803-1847).
Le Roman de Renard : 6 - Le Renard déguisé en moine s'insinuant dans la confiance du coq (Bartsch 6)
Le singe antiquaire
Vignettes Fables de La Motte. Le Fromage (Liv. II, fable 11)
Singe trompettiste
Singe corniste
Concert vocal
L’animal orateur
“Le lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.”
La Fontaine, Les animaux malades de la peste, Fables, livre VII.
Parler et haranguer les foules : un talent souvent repris par le roi des animaux. En effet, qu’il s’agisse de déclarer une guerre, rendre la justice ou tout simplement prendre une décision, il arrive régulièrement au lion de rassembler ses sujets, ou bien au renard ou au loup, quand l’occasion se présente. Les animaux s’humanisent à travers leur talent oratoire et leur don de parole.
Vignettes Fables de La Motte. Le Renard prédicateur (Liv. V, fable 3)
Le Loup devenu berger dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 1, Livre III, fable 3
Les Animaux malades de la peste dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 3, Livre VII, fable 1
L’animal acrobate
L’animal acrobate est aussi à l’origine du succès des cirques et autres spectacles éphémères. Leur accoutrement presque humain sur les affiches des grands spectacles de la fin du XIXe siècle attire et amuse le public.
CIRQUE FERNANDO/ TOUS LES SOIRS/ JUMBO/ Présenté par MME/ L. FERNANDO
FOLIES-BERGERE/ TOUS LES SOIRS/ G. LOCKHART/ ET SES ELEPHANTS
Les illustrations des Fables de La Fontaine résument les morales proposées dans ces courts apologues, petits récits à visée morale. Elles sont destinées à des esprits en formation.
Ainsi, le premier recueil est-il dédié au Dauphin Louis de France (1661-1711) afin de parfaire son éducation : c’est dans le petit et le puéril qu’on trouve les plus grandes vérités.
Dans la mesure où un récit très bref et métaphorique fait surgir une image, les Fables suscitent de nombreuses illustrations. Elles tentent de conserver l’équilibre entre la morale et le récit plaisant, comme celles de l’artiste Jean-Baptiste Oudry.
A chaque animal son vice humain
Guerre et violence
Le lion dans sa tête avait une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts,
Fit avertir les animaux.
La Fontaine, Le lion s’en allant en guerre, Fables, livre V.
Tous les animaux sont bons à être montés, de même que tous sont bons à devenir cavalier. Les artistes se sont souvent servi d’eux pour dénoncer la sauvagerie des hommes. Casques, armures et lances, tout est là, et parfois ce ne sont pas des hommes en selle, mais bien des animaux, armés de pied en cap.
Samson tuant le lion d'après Rubens (Dutuit 17, p. 31)
La guerre des Grenouilles et des Souris (Bartsch 31)
Le combat des oiseaux et des quadrupèdes (Bartsch 35)
Le Roman de Renard : 1 - Le Renard monté sur l'âne (Bartsch 1)
Les deux chèvres dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 4, Livre XII, fable 4
La mauvaise identification de soi
“Ne nous associons qu’avecque nos égaux”
La Fontaine, Le pot de terre et le pot de fer, Fables, livre V.
L’orgueil et la mauvaise identification de soi, autrement dit l’envie de se faire passer pour un animal d’une autre espèce, sont un des thèmes récurrents des Fables. Quand un animal veut ressembler à un autre, le geai au paon, la grenouille au bœuf, l’âne au cheval, c’est aux courtisans un peu trop ambitieux de la société d’Ancien Régime que La Fontaine peut penser. Les œuvres d’art rendent compte des préjugés culturels en attribuant à des animaux précis tel ou tel travers humain, comme la ruse au renard, ou la bêtise au bouc.
Le Geai et les Paons (Bartsch 36)
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 1, Livre I, fable 3
La Tortue et les deux canards dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 4, Livre X, fable 3
La paresse et l’oisiveté
“Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’avent ni le carême,
Sur le bord d’un marais égayait ses esprits.”
La Fontaine, La Grenouille et le Rat, Fables, livre XI.
Comme pour le rat de la fable éponyme, l’oisiveté et la paresse sont des thèmes privilégiés dans les Fables de La Fontaine, et repris dans les 275 illustrations de Jean-Baptiste Oudry, gravées par plusieurs artistes dont Pierre Aveline (1653-1722) et Charles-Nicolas Cochin (1715-1790). Le Petit Palais conserve cette prestigieuse édition en quatre volumes, publiée entre 1755 et 1759.
Dans l’illustration de La Cigale et la Fourmi, Oudry installe les deux insectes derrière une tenture, qui rappelle l’aspect théâtral de la fable et sa double nature, à la fois plaisante et didactique. Dans cette fable, la morale est d’autant plus importante que les animaux sont infirmes. Cette illustration répond ainsi parfaitement à l’ambition théâtrale de La Fontaine de faire de son œuvre “Une ample comédie aux cent actes divers / Et dont la scène est l’Univers”.
Le Lièvre et la Tortue dans Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 2, Livre VI, fable 10
Fables choisies de J. de La Fontaine. Volume 1.
La cigale et la fourmi.
Festival de l’Histoire de l’Art à Fontainebleau, 3-4-5 juin 2022
https://www.festivaldelhistoiredelart.fr/
Pour aller plus loin...
Remerciements
Remerciements à l'ensemble des équipes du Petit Palais - Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris et à l'ensemble des équipe des services centraux de Paris Musées.
Nous remercions tout spécialement Clotilde Euzennat et Pierre Husson, stagiaires au Petit Palais, qui ont imaginé ce parcours.