Grenouille aux oreilles de lapin

Sculpteur devenu céramiste, Jean Carriès (1855-1894), témoigne de cet intérêt nouveau des artistes de la fin du XIXe siècle pour les arts du feu. La « révélation » du grès lui vient en 1878 : il découvre la céramique japonaise à l’Exposition universelle. Fasciné par ce matériau qu’il surnomme « le mâle de la porcelaine », il s’installe à Saint-Amand-en-Puisaye (Nièvre) pour y apprendre l’art de la poterie . Autodidacte, il invente un bestiaire fantastique dont La Grenouille aux oreilles de lapin constitue le plus célèbre exemple. La texture granuleuse du grès et ses effets de patine aux multiples nuances lui permet de restituer au mieux l’épiderme du batracien, Carriès exploitant subtilement « l’association naturelle d’idées que l’émail gras, grumeleux ou lisse, verdâtre ou brunâtre, pouvait évoquer avec une peau de crapaud, de caïman ou de lézard » . Créature hybride dotée de pattes griffues et d’un bec en forme de rostre, la Grenouille aux oreilles de lapin suscite au Salon la répulsion des visiteurs, aux côtés des autres chimères surgies de l’imagination morbide de Carriès : « Ces affreuses bêtes existent ! Mais c’est un fou votre maître-sculpteur, un morphinomane, un halluciné… Oh ! Ces crapauds, ces larves, ces têtards, ces rampements, ces pustules » .