Les honneurs du Panthéon

"Les honneurs du Panthéon" figure parmi les charges les plus violentes de "La Caricature " contre ce que le journal appelle "le Système". Devant la façade esquissé du Panthéon, au fronton duquel apparaît la devise "AUX GRANDS HOMMES LA PATRIE RECONNAISSANTE", sont pendus différents membres des gouvernements successifs de la Monarchioe de Juillet. De gauche à droite : d’Argout est pendu par le nez ; Persil les yeux exorbités et la langue pendante laisse échapper le portefeuille de la Justice et des papiers sur lesquels on peut lire "Grand Complot" ou "arrestation" ; Soult est suspendu au cadre d'un tableau sur lequel apparaît le nom de Murillo ; au premier plan, Thiers saisit la corde qui enserre son cou, tandis que chutent portefeuille et argent. Le pendu à l'extrême droite pourrait être Viennet. Deux autres personnages se trouvent au centre, plus éloignés, dont peut-être l'Amiral de Rigny (Ministre de la Marine et des Colonies 1831-1834, puis Ministre des Affaires étrangères entre 1834 et 1835), au pied duquel est attachée une ancre. Cette mise à mort dans l'image s'inscrit dans la tradition des "peintures infamantes" du Moyen Age et de la Renaissance "qui consistait à réaliser dans des lieux exposés, en général les murs du palais communal des peintures qui dégradaient la dignité des hommes condamnés pour trahison, faux ou banqueroute". L'image du condamné pendu par les pieds s'impose comme la formule iconographique typique de cette pratique (Andrea Zorzi, « Dérision des corps et corps souffrants dans les exécutions en Italie » Elizabeth Crouzet-Pavan et Jacques Verger (dir.), La dérision au Moyen Age : De la pratique sociale au rituel politique, Paris, PUPS, 2007 ; cf aussi Ernst Gombrich et Ernst Kris, "The Principles of Caricature", British Journal of Medical Psychology, vol. 17, 1938, pp. 319-342). Le motif de la pendaison constituait déjà le thème masqué - mais parfaitement transparent - de la planche 179 par Daumier dans laquelle une poire - corps métaphorique du roi dans "La Caricature" - était pendu comme une cloche. Ici, l'éxécution est figurée sans détours, même si quelques notations comiques en atténuent la violence directe. En plaçant les gibets devant le Panthéon, Daumier appelle au renversement brutal d'un régime de valeur défaillant qui hisse les crapules au sommet de l'Etat. Face à la confusion et à la corruption, c'est aussi le jugement de la postérité qui est ici invoqué, à l'image d'autres planches de "La Caricature" (par exemple : "Je séparerai le bon grain de l'ivraie", Planche 98, par Grandville). Daumier prédit aux ministres le sort des crapules et non le destin des "Grands Hommes".